Torticola contre Frankensberg

(Torticola contre Frankensberg)

 L'histoire

Lorelei, une jeune orpheline, très belle et trop innocente, est contrainte par la misère de chercher refuge chez son oncle et tuteur le Docteur Frankensberg. Celui-ci vit reclus dans son château de Todenwald, à proximité d’un petit village perdu de Poméranie.

Frankensberg, homme de grand et dangereux savoir, se livre à d’énigmatiques expériences qui semblent exaspérer une compagnie de moine cagoulés qui hante le pays, ses plages et ses alignements de menhirs… Intervertissant corps et cerveaux du fils de son pire détracteur et concurrent directe, et ceux du greffier du castel, le scientifique dément a crée un homme qui miaule et un chat qui parle ; mais il a surtout fabriqué de toutes pièces un monstre amateur lui-même de cadavres et qui est devennu son âme damnée : Torticola. Pourtant ce dernier n’est pas encore véritablement achevé, quoiqu’il se promène tranquillement dans la nature et aille fréquemment ripailler au cimetière du coin. Sans aucune conscience, ni esprit de famille, le savant fou mijote de tirer cinq litres de sang de sa pupille pour parfaire sa créature et l’amener enfin au stade humain...

C’est compter sans les humeurs diverses des individus bizarres qui composent sa cour ; et des émotions du monstre…

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Le petit mot de Francis SCHALL

Qui l’eu cru ? Michel Piccoli dans le rôle de la créature du Dr Frankenstein ! C’est pourtant ce qui est arrivé en 1952 dans cette drôle de curiosité de trente trois minutes réalisé par Paul Paviot, et produit par les Films Marceau…

Pour retrouver la tradition et l’esprit du serial, le film est partagé en trois épisodes : "Le Laboratoire de l'épouvante", "La Proie du maudit" et "Le monstre avait un cœur". Ce court-métrage est sortie en 1965 au cinéma, intégré dans un film à sketches (très prisés dans les 60’) titré PARODIE PARADE, regroupant deux autres courts de Paul Paviot : TERREUR EN OKLAHOMA (pastiche de western) et DU SANG DANS LA SCIURE (riant du polar), tournés respectivement en 1950 et 1951.

Loin du travail bâclé qu’on trouve assez souvent dans ce genre d’approche rigolard, TORTICOLA CONTRE FRANKENSBERG (1952) bénéficie de la collaboration des meilleurs artistes de l’époque dans leur domaine : André Thomas à la direction de la photographie, les splendides maquettes d'Alexandre Trauner, et l'envoûtante musique de Joseph Kosma. Côté interprétation, le docteur Frankensberg est incarné par Roger Blin et sa créature Torticola par un Michel Piccoli ayant débuté depuis peu à l’écran. Michel Piccoli a joué d’autres personnages de science-fiction ; nous l’avons vu dans LES CREATURES (1966) d'Agnès Varda, DANGER: DIABOLIK! (1968) de Mario Bava, THEMROC (1973) de Claude Farraldo, LE PRIX DU DANGER (1983) d’Yves Boisset, et TYKHO MOON (1996) d’Enki Bilal.

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Roger Blin (1907–1984) a lui aussi été de quelques long-métrages de SF, et pas des moindres de la production française : LE MONDE TREMBLERA (1940) de Richard Pottier, ORPHEE (1950) de Jean Cocteau, LE NAVIRE ÉTOILE (TV 1962) d'Alain Boudet, LES COMPAGNONS DE BAAL (1968) de Pierre Prévert (TV mini-series).

Paul Paviot, réalisateur et scénariste français né en 1926 à Paris, commence sa carrière comme photographe de plateau en 1946, puis réalise une dizaine de courts-métrages dans les années cinquante (rappelons qu'en France c'était alors un passage obligatoire). Son DJANGO REINHARDT fut particulièrement remarqué. PANTALASKAS, son premier long métrage, en 1960, est salué par la critique. Entré à la télévision, il y propose plusieurs très bons téléfilms, dont LE CHIEN QUI A VU DIEU d'après Dino Buzatti (1970), une nouvelle version d’IRMA LA DOUCE (1972), et LE MASQUE AUX YEUX D'OR (1973). Homme de gauche, fidèle à ses convictions, il rencontrera, à partir de 1986, trop d'opposition pour pouvoir continuer de tourner.

Les parodies de classiques du cinéma fantastique ou de SF sont légions. Pensons simplement, pour rester du côté de Frankenstein au délirant (mais plutôt fidèle à l’esprit de Mary Shelley) FRANKENSTEIN JUNIOR (1974) de Mel Brooks, ou DOCTEUR JERRY & MISTER LOVE de Jerry Lewis ; ou encore à tous ces classiques passés à la moulinette par divers comiques : Abott et Costello, Laurel et Hardy, etc. TORTICOLA CONTRE FRANKENSBERG (1952) s’amuse principalement de LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN (James Whale, 1935) en le malmenant allègrement. Concernant la célèbre créature on trouvera d’autres comédies telles : DEUX NIGAUDS CONTRE FRANKENSTEIN (Charles Barton, 1948), PLUS MOCHE QUE FRANKENSTEIN TU MEURS (Armando Crispino, 1975), TURKISH YOUNG FRANKENSTEIN (Nejat Saydam, 1975), FRANKENWEENIE (court-métrage de Tim Burton, 1984), FRANKENSTEIN 90 (Alain Jessua, 1984), FRANKENSTEIN GENERAL HOSPITAL (Deborah Roberts & Deborah Sahagun, 1988), ROCK 'N' ROLL FRANKENSTEIN (Brian O'Hara, 1999), FRANKENSTEIN, LE TOMBEUR DE LA FAC (téléfilm de Tom Shadyac, 1991), LA TANTE DE FRANKENSTEIN (Juraj Jakubisko - mini série télé japonaise 1987)… et j’en passe !

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Les collectionneurs trouveront dans la mythique revue "Midi Minuit Fantastique n°7"1 (septembre 1963) tout un dossier consacré à ce film. Paul Paviot y déclarait en introduction : "Pour le plus grand effroi de chacun, un monstre nécrophage promène son hallucinante silhouette dans des paysages d'épouvante. Le drame est permanent et la mort quotidienne... cela pouvait durer des siècles. Soucieux d'apaiser les esprits en ce temps si troublé, Louis Sapin, Albert Vidali [les co-scénaristes] et moi-même avons décidé d'arrêter l'hécatombe. Pourquoi la science alliée au Cinématographe ne permettrait-elle pas d'humaniser les monstres ? Après d'importantes recherches, nous pensons avoir trouvé la solution et nous vous présentons ici notre étude en ouvrant le dossier TORTICOLA CONTRE FRANKENSBERG".

TORTICOLA CONTRE FRANKENSBERG (1952) fut tourné en Bretagne à Quiberon ainsi qu’au milieu des alignements de mégalithes de Carnac, et les séquences filmées en studio, chez Photosonor à Courbevoie.

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Ce film, longtemps pratiquement invisible, figure pourtant dans toutes les bonnes études sur le cinéma de science-fiction, mêmes étrangères ! Ne vous privez surtout pas de ce (trop bref) moment de bonheur et d’humour décalé (certains, par exemple, y cherchent vainement à voir l’Homme Invisible qui, lui, refuse absolument de se faire remarquer), en bordure du surréalisme. J’ajoute, pour les passionnés curieux, qu’ils pourront trouver le découpage scénaristique intégral dans "L'Avant-Scène Cinéma n°118 - octobre 1971" (pp. 49-59).

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1 Midi-Minuit Fantastique, apparue en 1962 est la première revue française spécialisée dans le cinéma fantastique au sens large du terme (mais aussi érotique). Fondée par un éditeur, Eric Losfeld, et trois critiques passionnés, Michel Caen, Alain Lebris et Jean-Claude Romer, la revue était plutôt dérangeante pour les autorités de l’époque. A tel point qu’elle fut interdite au moins de 18 ans en octobre 1968 avec la parution du n°20 [eh ! oui... les jeunots ! nous avons connu les joies de la censure !!]. En 1971, Midi-Minuit Fantastique disparaîtra après vingt quatre numéros, avec la faillite générale des éditions du Terrain Vague. Elle demeure une référence de premier ordre pour tout amateur du genre qui se respecte. Mais attention : ces exemplaires valent très cher !