Dagon

(Dagon)

 L'histoire

Deux couples en vacances font de la navigation le long des côtes de la Galice (Espagne), quand ils sont surpris par une tempête semblant surgir d’au-dessus d’un village. Leur yacht s’écrase sur un rocher et la compagne du propriétaire du bateau est grièvement blessée. Paul, jeune homme d’affaire binoclard, et sa blonde et sculpturale fiancée Barbara, prennent un canot pneumatique pour aller chercher du secours à terre.

Arrivés au petit port de pêcheurs, ils sont séparés par un prêtre exalté, sous prétexte de prévenir au plus vite les autorités. Paul revient au yacht avec deux marins pour constater que le bateau est vide, et totalement ensanglanté. De retour au village pour retrouver Barbara, il s’inquiète de l’absence de celle-ci. Ainsi que du comportement des autochtones, silhouettes traînant la jambe, aux visages dissimulés, à l’aspect répugnant. Presque convaincu par l’étrange prêtre que son amie va bientôt revenir, épuisé, il s’installe dans le seul hôtel du coin. Mais les cauchemars qui déjà l’avaient assaillis sur le bateau –un monde sous-marin et une sirène aux dents longues- le reprennent.

Lorsqu’il s’éveille, il découvre une population monstrueuse qui se prépare à se saisir de lui. Commence alors une chasse à l’homme éprouvante, sur fond de culte terrifiant, de transformations délirantes, d’une culture antique bien décidée de reprendre le contrôle de la Terre par océan interposé…

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Le petit mot de Francis SCHALL

Contrairement à ce qu’annonce le titre, DAGON, le film n’est pas l’adaptation de ce premier texte du Lovecraft adulte (les spécialistes font cette différence car l’auteur commença à écrire dès l’âge de huit ans des textes qui furent ensuite publiés) datant de 1917, mais est basé sur "Le cauchemar d'Innsmouth" ("The shadow over Innsmouth") publié en 1931.

Cette longue nouvelle (novella pour les anglo-saxons) fait partie de ce corps de l’oeuvre qu’après la mort de l’auteur August Derleth, éditeur et continuateur, qualifia de "Mythe de Cthulhu". Cette appellation, qui est devenue une référence, une légende pour des millions de lecteurs de par le monde, concerne les écrits faisant mention et mettant en scène les Grands Anciens, cette race d’extra-terrestres qui occupait la Terre avant l’apparition de l’Homme. Ils portent des noms tout autant célèbres : Azathoth, Maître de Toutes Choses, Nyarlathotep, "le chaos rampant", Yog-Sothoth, "le Tout-en-Un et le Un-en-Tout". Le plus célèbre de tous est le puissant maître de "Ceux des Profondeurs" sur qui il règne (avec son allié Dagon) : Cthulhu. Pratiquement toute l’œuvre de Lovecraft, même quand Cthulhu n’y est pas présent, est marqué par sa terrible empreinte. Pour certains Terriens, ces Grands Anciens –qui n’ont qu’un désir : réoccuper la Terre- sont des dieux ; et ils leurs vouent de nombreux cultes. Celui de Dagon, dans la ville portuaire quasi abandonnée (en apparence !) d’Innsmouth, sur la côte du Comté d'Essex (Massachusetts) en est un des plus terrible, qui a pour but de faire muter les humains de manière à ce qu’ils rejoignent le continent sous-marin des entités maîtresses d’autrefois.

Stuart Gordon est un fan du solitaire de Providence (autre surnom de H. P. L.) –comme son producteur et autre réalisateur ayant adapté l’écrivain, Brian Yuzna. Il a revisité six nouvelles qui n’en font qu’une : "Herbert West, Réanimateur", écrites entre 1921 et 1922, pour nous offrir son délirants, fort gore et souvent très drôles : RE-ANIMATOR (1985), mais aussi AUX PORTES DE L'AU-DELA (1986), CASTLE FREAK (1995) et l'épisode de la série MASTERS OF HORROR "Dreams in the Witch-House" (2005).

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A sa manière, toujours très impressionnante, sanglante, allant même jusqu’à des scènes insoutenables (je pense à celle du dépeçage d’Ezequiel) Gordon nous donne sa version de Lovecraft. Les puristes n’ont pas manqués de s’en offusquer : l’écrivain travaille dans la suggestion, évite le plus possible de montrer, et ses personnages sont rarement atteint physiquement mais psychiquement ; pratiquement tous frôlent ou sombrent dans la folie devant l’immensité cosmique insupportable de leurs découvertes. Pourtant il faut reconnaître que le film est fidèle en ce qui concerne les principaux évènements de l’histoire, allant jusqu’à reprendre des scènes typiques (celle du verrou dans la chambre de Paul, à l’hôtel, par exemple).

Comme Daniel Haller, qui avec DIE, MONSTER, DIE! (1965) déplace la légendaire ville d’Arkam en Angleterre, Gordon transporte l’action en Espagne (production oblige). Avec Imboca, village païen dont les habitants ont livré leurs âmes aux créatures marines, l’ambiance délétère n’y perd rien. Mais le fondement des écrits de Lovecraft du coup disparaît : l’absence de son territoire de l’inquiétude et ses villes à la fois mythologiques et réelles derrière le masque (Arkam, Dunwitch, Innsmouth, Providence ), ancrées dans la Nouvelle-Angleterre conservatrice (WASP : white-anglo-saxon-protestant) qui servent de toile de fond à ses chroniques d’un autre monde retire une grande part de l’essence même de celui qui, justement, disait de lui-même : "Je suis Providence".

Quoiqu’il en soit, à sa manière, Stuart Gordon, avec beaucoup de talent il faut le reconnaître, s’empare de l’œuvre de Lovecraft, la possède (comme un démon possède…), la transforme en autre chose : Gordon procède finalement à une mutation de Lovecraft.

Beaucoup d’humour comme toujours chez lui, même dans les pires situations. Et quelques citations fulgurantes, telles ce "Tu es mon fils !" du Grand Prêtre de Dagon (je ne dirai pas à qui il s’adresse, pour ne pas déflorer l’histoire) qui fait surgir soudain dans ce village damné l’ombre de Dark Vador ! Dans cette histoire de mutants malfaisants, de civilisation perdue, de Grands Anciens (finalement dangereusement fascinants) désireux de reprendre le contrôle de la Terre, on sera frappé par une ambiance glauque et humide (il pleut pratiquement durant tout le film), et la capacité du réalisateur d’installer un puissant sentiment d'oppression.

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Fantastic factory, label de la compagny de production barcelonaise Filmax, a été crée par Julio Fernández et Brian Yuzna. Il vise à produire des films à petits budgets, centrés sur le fantastique, la fantasy et la science-fiction, à destination du marché international. Fantastic factory a produit depuis 2000, huit films qui ont rencontré des succès différents mais jamais négligeables dont d'abord FAUST (Brian Yuzna - 2000) puis ARACHNID (Jack Sholder - 2001, juste avant Dagon), BEYOND RE-ANIMATOR (Brian Yuzna - 2003), ROTTWEILER (Brian Yuzna - 2004), LA NONNE (Luis de la Madrid - 2005) et LA MALEDICTON DES PROFONDEURS (Brian Yuzna - 2005).

Dans le genre créatures perverties des profondeurs, on verra avec un certain intérêt, et parfois quelques sourires, LE CONTINENT DES HOMMES POISSONS (1979) de Sergio Martino qui, après LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE (1978) récupère le semi-succès de L'ILE DU DOCTEUR MOREAU (1977) de Don Taylor. Ici, une belle, sur l’île d’un chercheur déjanté, fini par entretenir des rapports biscornus avec une peuplade d’amphibiens vaguement humanoïdes sur fond de réapparition de l’Atlantide. Ce film sera suivi en 1995 par un téléfilm LA REINE DES HOMMES-POISSONS (1995), également réalisé par Sergio Martino. Lovecraft fait plusieurs fois référence à l'Atlantide (ainsi qu'au continent perdu de Mu, à la Lémurie et à Thulé) : obsédé par les origines les plus lointaines (jusqu'au fond du cosmos) de l'humanité, il était logique qu'il visite les civilisations mythiques et les continents perdus, autres thèmes chéris de la science-fiction depuis Poe ("Les aventures de Gordon Pym") et Jules Verne ("20.000 lieux sous les mers" et "L'île mystérieuse").

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Ajoutons, dans le genre, une autre réalisation de Brian Yuzna, que nous avons vu coutumier des films inspirés par H.P. Lovecraft : LA MALEDICTON DES PROFONDEURS de 2005. Cette coproduction Grande-Bretagne-Espagne présente une ville condamnée, en voie de submersion par la construction d'un barrage, où officie une secte satanique. Quatre décennies plus tard, les vieux démons resurgissent… Adapté d’une nouvelle de Matthew J. Costello, écrivain et scénariste de jeux vidéos, on y retrouve sans dissimulation l'influence et les ambiances du Maître de Providence. Film sans grand intérêt, si ce n’est de nous inciter à revoir DAGON… DAGON, dédié au grand acteur Francisco Rabal mort peu après le tournage.


1 Providence, l’une des premières villes anglophones fondées aux Etats-Unis, est la capitale de l’État du Rhode Island.