Irvin Kershner

04.12.2010

FLFS : Qu'avez-vous pensé de cette partie de scénario, de l'intrigue ?

IK : Dark Vador est la chose la plus grande que George ait jamais imaginé parce qu'un bon mélodrame doit posséder de bons antagonistes. Hitchock l'a dit : "Le protagoniste ne vaut rien si l'antagoniste n'est pas puissant". Vous avez besoin d'un antagoniste puissant et il l'a créé. Bien sûr, il s'est directement inspiré des vieux serials et des comics. George adore les comic books. Il les collectionne. Et c'est de là qu'est partie l'idée de tout ça et à partir de là il a fait fonctionner le tout. Donc j'aime l'idée de Dark Vador. D'ailleurs dans L'Empire, je ne montre jamais son visage, juste un bout de son crâne pendant une seconde, lorsque son casque vient le coiffer. De cette manière j'attire l'attention, les spectateurs sont curieux et cherchent à savoir à quoi il ressemble. Je ne l'ai jamais montré. Et dans LE RETOUR DU JEDI, il l'a montré ! Il a montré un vieil homme fatigué ! J'ai dit "Non, ce n'est pas bon ! Ne fais pas ça George, ne fais pas ça !"

FLFS : Même s'il s'agit de la fin de la Saga ?

IK : Non, il n'aurait pas du montrer son visage !

FLFS : Il a dévoilé le secret au public alors ?

IK : Les spectateurs l'ont accepté.

FLFS : A propos de la direction des acteurs, George Lucas vous a laissé carte blanche. Vous pouviez réellement faire ce que vous vouliez ?

IK : Et bien lorsque j'ai dit "d'accord, je fais le film", nous avions un script. Ce script avait été écrit par Leigh [Leigh Brackett]. J'ai pensé que c'était un mauvais script, il n'allait pas. George était d'accord. Il voulait engager Larry [Lawrence Kasdan], cet écrivain qui n'avait jamais fait de film, pour réécrire un nouveau scénario. Pendant trois mois, Larry et moi, nous nous sommes vus chaque jour suivant. George descendait nous voir une fois par semaine. Nous avancions sur de nouvelles idées et un ou deux jours plus tard, Larry revenait avec de nouvelles pages du script. A la fin de la semaine, nous faisions le point avec George. C’est ainsi que nous avons écrit le script. Cela a pris à peu près trois mois. Je suis ensuite parti pour l'Angleterre.

FLFS : Avez-vous également participé à la création des personnages ?

IK : Non. Les personnages étaient déjà définis dans le script mais sur les plateaux nous avons ajouté pas mal de passages humoristiques. J'essaye de capter ces petits moments sur les plateaux. Par exemple vous avez Yan Solo : Il se trouve dans un vaisseau spatial qui peut voler plus vite que la lumière ; il doit décoller parce que l'Empire est là et le vaisseau ne bouge pas ; il ne sait pas quoi faire, il se lève, revient en arrière, repart, il cherche ! Et il frappe la console de commande et tout à coup… les lumières s'allument ! C'est ridicule, mais cela me fait rire et ça marche ! Vous voyez, c'est amusant, et ces moments que je recherchais se sont tous inscrits dans le film… Tout comme le baiser échangé avec la princesse Leia. Yan est sur le point de l'embrasser et tout à coup C-3PO débarque "Monsieur !". Ce sont des passages qui ne sont pas dans le script, des moments que vous imaginez au fur et à mesure du tournage. Vous savez, lorsque George a annoncé à la Fox que j'allais diriger ce film ils ont dit "Non, ce serait une erreur ! C'est un bon réalisateur mais il est trop vieux !" Je n'avais que cinquante cinq ans ! J'étais trop vieux ? Hollywood adore les jeunes réalisateurs. Un jeune réalisateur est malléable alors qu'il est bien plus difficile de contrôler quelqu'un comme moi. Il lui ont dit "Non, non, prend un jeune, prend quelqu'un qui sort de l'école, c'est un film pour les ados…" C'est ainsi et il n'a pas démordu, il est resté avec moi. Bien sûr, j'ai tout de même eu les félicitations de la Fox… après coup ! "Bravo, excellent boulot… nous savions que vous étiez à la hauteur…"

FLFS : Est-ce que le moment où Yan Solo répond à la princesse Leia "Je sais" faisait partie du script ?

IK : Non ce n'était pas dans le script. Yan Solo court à sa perte, il va être congelé, peut-être qu’il survivra, peut-être qu’il mourra. Leia dit "Je t’aime". Nous avons tourné la première prise comme le script l’indiquait. Solo réponds "Je t’aime aussi"… Coupez ! [Kersh se gratte la tête] Ça n'allait pas. C'est vraiment classique, c’est du chantage ! Mais que pouvez-vous dire ? Non je ne t'aime pas ? Nous avons refait la prise une dizaine de fois et je n’en étais pas satisfait. C'était l'heure d'aller déjeuner et il faisait très chaud. C'était un plateau noir surélevé du sol avec une toiture en tôles sur lequel le soleil tapait vraiment fort. Il y avait de la vapeur, bref nous étions tous épuisés. Mon assistant disait "Ok ! On l'a !" Il doit y avoir quelque chose de mieux à dire que 'Je t’aime aussi' ! L’équipe attendait pour aller déjeuner alors j’ai dit "Ok, Harrison dit la première chose qui te vient à l’esprit". Il a dit "Je sais". Nous l’avions. Mon assistant a crié "Non, non, personne ne bouge, on va la refaire jusqu'à ce que cela marche !". C'est un homme bien vous savez ! Je lui ai dit "David [David Tromblin], c'est bon, c'est la bonne réplique tu sais." Il n'en était pas convaincu mais il a fini par accepter.

FLFS : Est-ce George était content de ce changement ?

IK : J'ai monté la séquence et je l'ai montrée à George. Il regardait et tout à coup le moment fatidique arrive : "Je t'aime"… "Je sais"… Il a dit "Quoi ? Quelle est cette réplique ?". Je lui ai dit "Et bien c'est la réplique !" Il me dit alors "Mais ne devait-il pas dire autre chose ? Je t'aime aussi ou quelque chose comme ça ?". Je lui ai alors dit que ce n'était pas le style de Yan Solo. Seuls les gens ordinaire disent cela, pas Yan Solo, il ne dirait jamais "Je t'aime aussi". "Oh non !" a-t-il répondu, "le public va rire !" Je lui ai dit "Tant mieux, ils riront avant qu'il soit envoyé dans le puits et là la tension redeviendra extrême". Des hauts et des bas, c'est ainsi que doit se dérouler un film, il doit être fait de hauts et de bas. George n'en était pas totalement convaincu et il m'a demandé si j'avais l'autre prise avec les dialogues originaux. Je l'avais conservé et cela l'avait soulagé de savoir que je l'avais gardé. Arrive maintenant le jour de la présentation du film à un public sélectionné ; des amis de San Francisco. Nous sommes assis l'un à côté de l'autre et le film débute. Et il dit "As-tu remis la bonne réplique ?" J'ai dis "Non, non, non, c'est la bonne réplique." Il dit "Ok, la semaine prochaine on remettra la réplique originale d'accord ?" J'ai dis "Ok, la semaine prochaine…" ; le film se déroule et arrive la scène en question… qui provoque un rire général. Il me donne un petit coup et me dit "Tu vois, je te l'avais dis, tout le monde rit !". Cette réplique l'obsédait, c'était la seule chose du film qui le tourmentait. A la fin de la projection, tout le monde est venu nous voir et tous voulaient nous parler de cette fameuse réplique. Ils ont adoré le film et ont dit "Superbe réplique ! Du Yan Solo tout craché". Alors nous sommes allé dîner et je m'assois en face de George. J'ai dis "George ? Es-tu sur de vouloir présenter le film avec l'autre texte la semaine prochaine ?". Il m'a répondu "Non, nous ne devrions pas !"

FLFS : Et ensuite il a repris cette phrase dans LE RETOUR DU JEDI.

IK : Vraiment ?

FLFS : Oui, mais les rôles ont été inversés : Yan Solo dit "Je t'aime" et Leia répond "Je sais !"

IK : Je n'ai pas aimé ce film et je ne m'en souviens pas.

FLFS : Il a inversé les répliques.

IK : Je vois… c'est intelligent, c'est intelligent.

FLFS : Nous savons que vous êtes musicien, entre autre que vous pratiquez le violon. Avez-vous rencontré John Williams. Avez-vous participé à l'écriture de la bande originale de L'Empire ?

IK : Non, c'est une relation différente. Parce qu'il avait composé LA GUERRE DES ETOILES et qu'il y avait des thèmes déjà posés. Une chose amusante s'est produite avec John. Nous lui avons montré le film. Il l'aimait beaucoup. Ensuite, lorsque nous nous sommes mis au travail - vous commencez au début et balayez toutes les scènes une à une, en décidant ou commence la musique et ou elle se termine, quand le son se termine et quand il doit être recouvert par la musique. Début fin, début fin… Nous avons fait le début et puis tout de suite nous avions du mal à tomber d'accord sur le moment où il fallait arrêter la musique. Nous nous sommes regardés et il me dit "Tu sais quoi ? Prenons les choses à l'envers, regardons le film et voyons quels passages peuvent se passer de musique." C'était la première fois que je connaissais ce genre de situation. Nous avons complètement inversé l'approche du film. Il était merveilleux. L'avantage que j'avais c'est que je savais lire les partitions. Quand il enregistrait, il y avait parfois des choses qui ne fonctionnaient pas très bien. Nous regardions les partitions et je lui disais "Mon Dieu, nous avons tout ces trombones à l'unisson, je m'en lasse… Pourquoi n'introduirions nous pas tel ou tel instrument ?" "Laisse moi essayer… ", disait-il [Il mime John Williams en train de réécrire]. C'est un génie, Williams est un véritable génie. Il est le meilleur que nous ayons que se soit pour les grandes orchestrations comme pour les plus petites.

FLFS : Vous jouez de la musique, de la viole. Est-ce exact ?

IK : De la viole, oui.

FLFS : Quelle est votre opinion sur la science-fiction ? En général ? Au cinéma ? En littérature ?

IK : Vous savez, les films de Star Wars ne sont pas de la science-fiction. Beaucoup pensent que c'est de la science-fiction, mais ça n'en est pas. La science-fiction traite de fait scientifiquement possibles mais dans le futur. Ces films ressemblent davantage à des contes de fée. Vous réalisez l'immensité de l'espace ? Tout se mesure en millions de miles. Nous ne sommes pas plus gros qu'un grain de sable sur la Terre toute entière, notre planète est insignifiante. Il y a des millions de planètes et de soleils qui tournent en orbite les uns autour des autres. Non, ce n'est pas de la science-fiction, ce sont des contes de fée.

FLFS : Est-ce que c'est beaucoup plus compliqué de tourner ce genre de film avec tout ces effets spéciaux ?

IK : Oui, c'est totalement différent des autres films. Maintenant il y a le numérique. A l'époque cette technologie n'existait pas alors on devait construire les décors et tout ce qui devait l'être. C'était vraiment différent de ce qu'ils peuvent faire maintenant.

FLFS : Vous aimez l'Edition Spéciale du film ?

IK : Mon film a très peu changé excepté pour quelques secondes dans une ou deux séquences. Les autres sont très différents. Le Jedi est très différent et dans La guerre des étoiles, il a inséré des scènes coupées. Mon film est resté assez intact. Il m'a demandé s'il pouvait ajouter le monstre des glaces au début. Il a aussi fait quelque choses de très amusant : dans la version originale, lorsque le groupe marche dans le corridor, je voulais qu'il y ait des fenêtres pour que l'on voit l'extérieur de la ville mais nous n'avions pas l'argent pour le faire. Lorsque je me suis rendu à San Francisco pour prendre connaissance des modifications, la scène en question arrive. Il y a des fenêtres… J'ai dit "George, c'est fantastique !" et il m'a répondu : "C'est une surprise pour toi." Il l'a fait pour moi. Avec ses studios numériques cela a été très facile à faire.

[Hors champ, Irvin Kershner nous confie une autre petite anecdote à propos de Vador qui tend le poing en disant 'Je suis ton père'.]

IK : Lors de la première projection, lorsqu’il [David Prowse] a vu la scène pour la première fois, il était assis derrière moi. Il m’a tapé sur l’épaule et il m’a dit "Pourquoi ne m’avez-vous pas dit que j’étais son père ? Je l’aurais joué différemment !". Il pensait être un acteur ! (rires).


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