Irvin Kershner

04.12.2010

FLFS : Si vous le voulez bien, nous allons reparler de votre implication sur L'EMPIRE CONTRE-ATTAQUE. Nous savons que Gary Kurtz avait présélectionné une liste de cent réalisateurs pour diriger le film. Lucas en retint seulement vingt. Avez-vous eu connaissance de cette liste ?

IK : Non. Simplement, j’ai reçu un coup de téléphone de George et nous avons dîné aux Studios Universal. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps et il me dit "J’aimerais que tu diriges le prochain Star Wars". Je lui ai demandé pourquoi il ne le tournait pas lui-même. Il m’a répondu "Pour beaucoup de raisons." Vous voyez, il avait eu beaucoup de problèmes avec le premier film. Il m'a dit "Peut-être que LA GUERRE DES ETOILES est un phénomène qui se présente une seule fois et que Star Wars n'intéressera plus personne, mais je veux continuer à faire ces films. Le deuxième doit être meilleur que le premier. Il doit être plus riche, plus gigantesque, plus amusant, il doit surpasser le premier. Tu es le plus à même de le réussir." J’étais très flatté mais j’ai refusé. Je ne voulais pas le réaliser. Je pensais qu'il le ferait mieux que moi car le premier était un tel succès et il avait fait tellement d'argent ! Les gens l'adoraient ! Il a insisté et m'a dit "Non, fais un film encore meilleur !". Je lui ai alors dit que je n'étais pas intéressé mais que j'y réfléchirais. Alors je suis rentré chez moi et j'ai appelé mon agent. Pour lui il n'y avait pas de question à se poser, je devais réaliser cette suite. Je pensais "Non, c’est un piège !"

FLFS : Il avait une réelle confiance en vous !

IK : Oui. Mais j'ai refusé. Et quelques semaines plus tard j'ai dîné avec Gary Kurtz qui m'a à son tour demandé de réaliser L'Empire. Je lui ai dit "Gary, tu sais (je connaissais Gary, car c'est aussi quelqu'un de l'U.S.C.), j’ai l’impression que je ne pourrais pas faire ce que je veux, j’aime être mon propre patron… Non je ne peux pas !" George m'a ensuite appelé de nouveau et m'a invité à San Anselmo chez lui. Il y avait une grande salle de projection et c'était magnifique. Je me suis donc rendu là-bas et il m'a emmené dans un bureau. Sur les murs de cette pièce se trouvaient de grands dessins d'une magnifique maison victorienne et il a dit "Voici ce que je vais appeler le Ranch Skywalker. J'ai acheté un bout de terrain dans la Lucas Valley. Je vais construire tout ceci uniquement si le deuxième film est un succès. Le deuxième financera tout cela et ce sera un endroit où les réalisateurs du monde entier pourront venir. Il y aura des séminaires où nous parlerons. Il y aura un petit restaurant… quelques chambres pour séjourner…" Pas mal… c'est une très bonne idée de construire tout ça, me suis-je dit. Mais le film va devoir rapporter beaucoup d'argent. Il a dit "Si le film marche, il rapportera beaucoup d'argent. Je vais le financer par moi-même et me passer de la 20th Century Fox. Combien penses-tu qu'il va coûter ? Plus de 20 millions ? J'engage tout ce que je possède dans ce film." Je lui ai alors dit "Sais-tu quel genre de responsabilité cela représente pour moi ? Je pourrais te perdre, je pourrais te ruiner !". Et il m'a dit "Tu ne me ruineras pas. Je vais tenter ma chance, tente la tienne." Alors je lui ai dit la chose suivante "George, j'ai vu le travail que tu as fait ces dernière années. J'adore American Graffiti, je connais le travail que tu as fait à l'U.S.C. mais je ne supporterai pas de t'avoir près de moi et de me dire ce que je dois faire. Ça ne marchera pas." Et il a dit "Non ! Non ! Je veux que ce soit ton film. Tu vas aller en Angleterre monter toute l'opération, trouver les lieux de tournage, moi je reste en Californie. Tu me ramèneras le film." J'ai pensé… "Pas mal ! D’accord, si je peux avoir cette liberté". Je me demandais s’il tiendrait parole. Et il a tenu parole. Lorsque le film a été terminé j'ai reçu un coup de fil pour une invitation royale en Angleterre. J'ai appelé George pour qu'il vienne car il était également réclamé, mais il n'a pas voulu venir, il m'a dit : "Si j'y vais il me parlerons autant qu'à toi. Vas-y toi, c'est ton film !". J'y suis donc allé seul. C’est un homme intègre.

FLFS : Il semblait qu'il veuille absolument Irvin Kershner pour diriger le film…

IK : Il y a eu beaucoup de rumeurs qui ont circulé à Hollywood qui disaient que George était venu en Angleterre et qu'il m'aurait dit comment tourner les scènes et faire ce qu'il souhaitait. Toutes étaient fausses. J'étais là-bas avec Gary Kurtz, c'est tout. Gary a fait tout le travail administratif, c'est quelqu'un de bien, il est très précis pour tout ce qui touche à la production. Mais cela a été une expérience très dure. Il m'a fallu deux ans et neuf mois pour faire ce film.

FLFS : Lors du tournage de L'Empire, vous envoyez les premiers montages en Californie, n'est-ce pas ?

IK : (rire) C'était très particulier. Nous n'avions pas d'écran de télévision, pas de DVD. On se servait des écrans des moviolas - vous savez ces machines de montage avec un écran grand comme ça [ Irvin nous montre la taille de ces tout petits écrans ]. Une fois par semaine on pointait les caméras sur ces écrans et on filmait quelques rushs en noir et blanc qui étaient destinés à lui montrer ce que nous avions tourné. C'est tout ce qu'il voyait. Il n'a pas vu grand chose, tout au plus quelques images en noir et blanc. Lorsque j'étais en Angleterre, j'ai passé presque un an à dessiner les storyboards du film. Je les donnaient ensuite à des artistes qui en faisaient de plus grands et j'ai ainsi réalisé deux gros livres de ces dessins [Kersh nous montre une épaisseur approximative de 15 cm] qui étaient tous numérotés avec les séquences. J'ai envoyé un livre à George et j'en ai gardé un. Lorsque je voulais tourner une séquence particulière, je sortais les trois ou quatre pages concernées, les dupliquais et les donnais à l'équipe du tournage. De cette manière ils savaient exactement ce qu'on allait tourner. Si j'avais décidé de changer quelque chose à la scène, j'appelais George et lui indiquait le numéro "George, 3SL et 2B22… Je les modifie, je fais ceci au lieu de cela…". Il devait être au courant car de son côté il construisait les maquettes. Vous voyez, nous n'avions pas les technologies numériques alors on devait se débrouiller avec des maquettes et vous devez les construire en fonction de l'angle selon laquelle on allait les voir. Vous ne pouviez pas avoir des décors entiers, cela aurait coûté trop cher et de cette manière il connaissait toujours les angles de prises de vue que j'avais choisi. Par exemple : si je devais tourner une scène avec des personnages, je dessinais une ligne de démarcation entre eux et le reste du décors géant qui n'était pas là. Celui-ci serait alors peint. Mais pour vous dire à quel point c'est un homme intelligent, avant de partir je lui ait dit : "George tu sais, je ne suis pas un spécialiste de la science-fiction et je n'y connais rien en effets spéciaux !", il m'a répondu "Bien, très bien. Imagine simplement tout ce que tu veux voir, nous le ferons fonctionner." Cela devait également être un challenge pour eux. Si j'avais eu quelques notions sur la fabrication des effets spéciaux j'aurais sans doute dit que c'était trop difficile à réaliser et j'aurais vraiment été inquiet. Il m'a dit "Ne t'inquiètes pas, tu apprendras". Et bien sur, dès le premier mois, j'avais assimilé l'essentiel. Je sais maintenant ce qu'il est possible de faire.

FLFS : Ceci était important pour obtenir la vision que vous vouliez obtenir ?

IK : Tout est important, chaque moment est important, mais pour moi, la chose la plus importante était de rendre les personnages vivants et de ressentir des émotions. Je voulais que le public rit, je voulais que le public soit effrayé, je voulais que le public aime la princesse Leia, je voulais qu’il soit suspicieux envers Solo, et je voulais que le public s’éprenne de Yoda. Yoda était la "création" de ce film, il était le coeur de L'Empire. Celui des derniers films [de la Prélogie] est différent. J'ai fait de mon Yoda, un personnage proche de la philosophie du zen Bouddhisme. Ne vous laissez pas aller à la colère ou alors vous perdez. Et pourtant, maintenant, je vois que Yoda se met en colère [le cinéaste fait référence à L'ATTAQUE DES CLONES (2002)].

FLFS : Vous n'aimez pas le Yoda numérique ?

IK : Et bien je pense qu'il est différent de ce que j'avais prévu pour lui. Mon Yoda était adepte du Bouddhiste zen.

FLFS : Etait-ce vraiment important pour vous ? Quel message vouliez-vous faire passer ?

IK : Pas un message, c'est un… cela lui donne une caractéristique, cela fait de lui un personnage. Vous savez, ma plus grande crainte de tout le film état de savoir si les spectateurs accepteraient une petite marionnette faite de caoutchouc et de plastique. J'avais peur qu'ils ne l'acceptent pas comme un personnage vivant car cela n'avait jamais été fait. Dans un film, lorsque vous utilisez une marionnette, cela reste une marionnette. Celle-ci devait paraître vivante. Serait-elle acceptée ? Sur les plateaux, lorsque vous travaillez avec, vous savez que ce n'est pas réel car vous savez que quelqu'un dessous la manipule et toute une équipe se charge de lui donner les mouvements d'expression, de lui faire bouger les oreilles, de lui faire fermer les paupières. Et en regardant cette chose stupide, vous vous rendez compte que son expression ne change jamais. Le seul changement est celui-ci [Kersh plisse le front]… c'est tout. Mais tout réside dans le langage corporel. Il est triste [Kersh mime la tristesse], il est heureux [Kersh mime quelqu'un d'heureux], il est curieux [il mime quelqu'un de curieux], etc. Nous avons beaucoup travaillé sur les mouvements du corps… [Kersh mime alors Yoda, d'un air dépité, en disant la phrase suivante] "Tu n'es pas un Jedi…" Vous voyez ? Le langage corporel. C'est la même chose pour Dark Vador. Vous ne voyez pas son visage. Lorsqu'il dit à Mark [Hamill] qu'il est son père, ceci n'était pas dans le script. Il [David Prowse] a joué la scène entière avec des lignes de script différentes. Je lui disais "Ok, nous allons régner sur l'univers ensemble" [Kersh ferme le poing], "Viens avec moi" [Kersh tend le bras]. J'ai changé cette dernière phrase en postproduction et je l'ai remplacée par les mots "Je suis ton père !" [Kersh tend à nouveau le bras]. Vous voyez… Alors même sur le plateau personne ne pouvait comprendre. Mark n'a jamais prononcé le mot "père" dans la scène, il a juste dit "Non, ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas vrai !" Personne ne savait ce que nous étions en train de tourner, pas même les ingénieurs du son. Jusqu’à ce qu’ils découvrent le film, l’équipe n’en savait rien et Mark ne le savait pas non plus le jour précédent.


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