Irvin Kershner

04.12.2010

Interview exclusive d'IRVIN KERSHNER réalisée lors du "1er Festival du Film Culte de Saint-Gilles-Croix-de-Vie" le 05 mai 2005.

Irvin Kerskner interviewé par Fabrice Labrousse et Francis Schall - Irvin Kershner
Irvin Kerskner interviewé par Fabrice Labrousse et Francis Schall

Fabrice Labrousse & Francis Schall (FLFS) : Vous avez eu comme professeur à l'U.S.C. Slavko Vorkapich que l'on connaît très mal en France, et pourtant d'une énorme importance aux USA. Pouvez-vous nous parler de cette expérience particulière qui dites-vous vous a beaucoup apporté ?

Irvin Kershner (IK) : Alors que j'étudiais il a regardé mon travail, mon travail de photographe, et mon travail artistique. "Pourquoi ne prendrais-tu pas des cours de cinéma, ici à l'U.S.C. ?", m'a-t-il dit. Je n'avais pas songé à ça ! Je n'avais jamais pensé au cinéma. Je faisais de la photo et cela m'allait bien. Alors j'ai réfléchi : "Ok, je vais essayer." C'était après la guerre - j'avais servi dans l'Air Force pendant trois ans, une longue période - alors j'ai arrêté la photographie et j'ai pris des cours de cinéma pendant un an. Plus tard, ils cherchaient des personnes pour partir à Téhéran, pour réaliser des documentaires en farsi, leur langue, et je me suis porté volontaire. J'ai donc fait mes valises et je suis parti à Téhéran. J'ai voyagé en Iran, en Irak, en Syrie, au Liban, en Turquie, en Grèce ; j'ai parcouru tout le Moyen-Orient. Oui, j'ai beaucoup voyagé, énormément.

FLFS : Au Moyen-Orient vous avez alors pu côtoyer les mythologies et les légendes de ces pays.

IK : En fait, les légendes ne m'intéressaient pas. C'est la politique qui m'intéressait. Je connaissais le Shah. J'ai dîné avec lui. Il m'a confié ses plans pour l'Iran. Un jour il m'a dit "J'ai dit que je voulais rendre toutes les terres aux paysans. Et le peuple est si pauvre. Je voulais leur rendre leurs terres". Et il a ajouté "On me l'a déconseillé. On m'a dit que si je faisais cela je serais immédiatement assassiné". Cela ne s'est donc pas fait. Ensuite les Américains sont arrivés et ont dit, "Nous allons faire de vous un Empereur", car il avait été forcé de s'exiler. Ils l'ont remis au pouvoir et ont dit "Vous voulez faire de bonnes choses pour l'Iran ? Vous avez le pouvoir. Nous vous donnerons des armes, des navires et des tanks et...". Tout le truc habituel que les Américains ont fait dans le monde entier, des trucs mal. Des trucs militaires. Avant même que les Américains le fasse, les Européens l'ont fait. Les Français l'ont fait en Afrique, les Allemands l'ont fait en Afrique, les Européens l'ont fait les premiers et les Américains l'ont fait ensuite et c'est quelque chose de mauvais qu'il y a chez les gens.

FLFS : Ceci ressemble à l'histoire de l'Empire…

IK : L'Empire signifie une chose : les terres ; les terres et les ressources. S'il y a du pétrole, s'il y a de l'or, s'il y a du fer, quelles qu'elles soient, ce sont des ressources, c'est primordial. Et plutôt que de les acheter, vous les prenez, particulièrement si le peuple est noir ou ignorant, vous y allez et vous vous servez. Nous devons cesser tout cela. Je ne sais pas comment nous allons faire cesser cela.

FLFS : Il est possible de faire le parallèle entre empire et L'EMPIRE CONTRE-ATTAQUE ?

IK : Oui, absolument. Lorsqu'un empire grossit, il veut devenir plus gros encore. Comme Napoléon qui voulait s'étendre toujours plus. Cela ne fonctionne pas.

FLFS : Pour revenir à votre passage à l'U.S.C., quel a été l'impact sur votre carrière en tant que réalisateur de film ?

IK : La réalisation de documentaires. Lorsque je faisais des documentaires, j'étais à la fois caméraman (c'était du 16 mm) et réalisateur, j'écrivais le script, je montais. C'est la meilleure expérience au monde car vous touchez à chaque aspect de la fabrication d'un film. Alors il n'y a pas de mystère : vous savez monter, vous savez éclairer une scène, vous savez filmer. Ce fût la meilleure expérience qu'il m'ait été donnée d'avoir.

FLFS : Vous avez tout expérimenté dans les films ?

IK : J'ai tout fait.

FLFS : Vous avez aussi travaillé pour l'U.C.L.A.. Quelle est la principale différence entre ces deux écoles ?

IK : L'Université de Californie du Sud (U.S.C.), où j'enseigne maintenant, est peut-être la plus grande école de cinéma au monde et ils portent leur effort sur la fabrication de films. Pas tellement sur les documentaires, mais plutôt sur les long-métrages et ils sont très influencés par Hollywood. Ils obtiennent beaucoup d'argent d'Hollywood, et les professionnels d'Hollywood viennent y enseigner. U.C.L.A. possède également une très bonne école de cinéma mais je pense qu'elle met davantage l'accent sur les documentaires et sur ce que l'on appelle la substance, vous voyez ce que je veux dire ? C'est une bonne école. Mais je n'y enseigne pas. J'enseigne l'anglais, la littérature, l'écriture dramatique. J'ai le sentiment que l'U.S.C. est devenue très commerciale. Comment faire beaucoup d'argent à Hollywood !

FLFS : U.S.C. a obtenu de l'argent de George Lucas … [En septembre 2006 George Lucas a annoncé qu’il allait donner à son ancienne école de cinéma (U.S.C.) la somme de 175 millions de dollars pour la construction de nouveaux bâtiments scolaires et pour la rénovation de ceux existants.]

IK : Non, ils ont un bâtiment qu'il leur a offert et un autre offert par sa femme. Spielberg aussi leur a offert un bâtiment.

FLFS : Quels est votre ressentiment par rapport à Hollywood aujourd'hui ? Est-ce quelque chose de très important ou bien tout se résume-t-il à l'argent ?

IK : Rien n'est juste de l'argent. Il y a toujours des gens qui veulent bien faire. Avez-vous le pouvoir ou l'argent pour bien faire les choses ? C'est très difficile. Aujourd'hui à Hollywood, des centaines de films indépendants sont réalisés chaque année. J'en ai vu beaucoup, parce que les jeunes réalisateurs me les montrent. Ils veulent tous être à l'image d'Hollywood, ils veulent faire Spider-Man, ils veulent faire de grosses productions, devenir célèbres, gagner beaucoup d'argent. C'est Hollywood ! Maintenant, il y a des gens talentueux à Hollywood ; mais même si vous êtes talentueux, instinctif, que vous ayez le sentiment de pouvoir faire de belles choses, vous n'aurez pas l'argent pour réaliser votre projet. Vous pouvez avoir un bon projet et vous entendre dire : "non ! non, il n'y a pas suffisamment de public pour cela ! "


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